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                                 À quoi bon ?

À quoi bon ?

Combien de fois m'assaillit cette question avant de prendre la plume, me faisant alors hésiter à la saisir?

Combien de fois tenta-t-elle encore de s'imposer alors même que cette plume avait déjà rempli de nombreuses pages, m'incitant à penser que c'est en vain qu'elles furent rédigées ? En vain, expression de même étymologie que vanité. Et n'est-ce pas vanité que de penser utile ce qui bien plus certainement est vain ?

 

À quoi bon?

À quoi bon, puisque je n'ai nullement la prétention de croire que mes écrits changeront la destinée du Monde, de l'Europe, de la France, ni même d'une seule rue... Ceux qui décident de nos destinées sans se soucier de nos peines et de nos drames, qui ne voient en nous qu'une masse indifférenciée de consommateurs que l'on peut déraciner et déshériter sans état d'âme, ne liront pas ces pages, et quand bien même par un insondable mystère mes écrits leur parviendraient-ils et par un phénomène plus inexplicable encore les liraient-ils, qu'ils ne leur accorderaient pas d'autre intérêt que celui qu'ils estimeraient dû à un aimable divertissement.

 

À quoi bon?

À quoi bon, puisque dans l'indifférence générale mon pays se meurt, les Français semblant résignés à contempler leur effacement des livres d'Histoire en suivant l'évolution de leur propre pronostic vital attablés devant les chaînes d'information où défile une classe politique qui leur explique que tout va bien, qu'ils n'ont pas à s'inquiéter, que ce n'est là qu'un "sentiment" d'effacement, sans même se rendre compte que cette classe politique n'a plus depuis longtemps ni Politique ni classe...

 

À quoi bon?

À quoi bon en effet... Mais cette question ne peut, si nous la laissons ainsi suspendue dans l'atmosphère, qu'être un parfum délétère nous incitant par ses douces et enveloppantes émanations à tous les abandons, à tous les renoncements, à toutes les résignations. Elle est l'argument de la lâcheté qui pour se mentir à elle-même invoquera la fatalité contre laquelle on ne peut rien. Mais voyez-vous, alors même qu'elle se fraya un chemin dans l'esprit de Charles VII, se présenta devant lui une jeune fille de 17 ans, une simple jeune fille issue d'un monde rural, qui jamais, même à l'heure de monter sur le bûcher, ne se la posa. Mais voyez-vous, alors même que l'écrasante majorité des Français se résignait à la cohabitation avec l'occupant, un homme ne se la posa pas davantage un 18 juin 1940, seul devant un micro sans même avoir la moindre certitude que quelqu'un, de l'autre côté de la mer et des ondes, l’écouterait.

Notre Civilisation se meurt par juxtaposition d'une multitude de petits "à quoi bon?", oh certes bien insignifiants, tellement insignifiants même que nous ne saurions les soupçonner, considérés isolément, d'y être pour quoi que ce soit dans notre déliquescence, de sorte que chacun de nous pourra aisément se dire qu'il n'est pour rien dans les malheurs qui le frappent. Mais si tous ceux-là qui renoncèrent ainsi, vaincus avant de combattre par l'insidieuse question, le meilleur allié sans doute de ceux qui veulent nous voir mourir, avaient inlassablement de notre Civilisation transmis ses Valeurs, sa Transcendance, son Histoire, ses Mythes et Traditions, ses Us et Coutumes, ses Gloires et ses Grandeurs, et même ses petitesses et ses pages obscures, nous n'en serions pas là où nous en sommes rendus.

 

Ni Jeanne ni Charles ne se dirent « À quoi bon ? », pas plus que tous ceux qui écrivirent les grandes pages de notre Histoire, et ils ne se le dirent pas parce qu'ils ne voyaient que le but à atteindre, sans prendre la mesure de la hauteur des obstacles qui se dressaient devant eux, n'ayant chevillée à l'esprit, à l'âme, et à la chair, que la France, rien que la France. Pour Elle, ils ne regardaient que l'Horizon et le Ciel.

Ils nous ont montré qu'il n'y a qu'une seule manière de vaincre cette question : Ne jamais renoncer. Ne jamais s'arrêter.

Que chacun à sa manière Transmette, Transmette, Transmette, inlassablement, et notre Civilisation ne mourra pas.

Il n'y a aucune, strictement aucune autre solution.

 

Il ne m’apparaît donc pas inapproprié de reproduire ici, pour conclure ce texte, la fable qui ponctue l'introduction de mon livre De la Théogonie à l'Agonie :

 

« Dans une forêt en feu, tous les animaux allèrent chercher refuge près des étangs et de la rivière qui la traversait. Là, regroupés autour de leur terreur commune, ils virent un geai prendre un peu d'eau dans son bec pour aller faire tomber sur les flammes les quelques gouttes prélevées, multipliant sans cesse les allers-retours d'une lutte désespérée. Les autres animaux, le prenant pour un fou sans doute, lui dirent alors : « Mais ce que tu fais ne sert à rien ! ».

« Je sais, répondit le geai, mais j'aurai fait ma part.» »

 

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