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Introduction

État d'esprit

 

« À la mémoire qui se retourne vers le passé se lie nécessairement l'attention qui se porte vers l'avenir. Qui oublie ce qu'il commence saura-t-il comment il peut finir?»

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Nulle parole autre que ces quelques mots de Saint Augustin n'aurait pu mieux qu'ils ne le font se faire impitoyable miroir nous renvoyant en pleine face obligations oubliées et reniements, nous révélant implacablement l'inéluctable destinée de l'Occident Chrétien.

Faute de n'avoir plus tôt regardé par dessus notre épaule, sans cesse affairés à satisfaire nos désirs consuméristes, nous n'avons su ou voulu éviter tous les pièges qui nous furent tendus sur le chemin de l'apparente facilité et du confort, et dans lesquels nous préférâmes, et préférons encore, voir autant de promesses de liberté individuelle qui ne saurait par nature s'accommoder d'une quelconque Morale Supérieure. Pas après pas, marcheurs consentants sur ces pavés de bonnes intentions, troquant notre statut d'homme libre contre celui d'animal domestique, nous nous sommes laissés, pendant que nous étions invités à détourner nos yeux de la réalité au profit de nos portables et de nos écrans déversant en boucle inculture et bien-pensance, déposséder de notre civilisation millénaire, de nos valeurs, de notre culture, de notre humanité. Fallait-il donc, pour acheter le progrès, que fût vendue notre âme?

 

Il nous faut donc oser ce voyage dans le temps, lui seul pouvant nous livrer objectivement les raisons de notre présente situation, au risque de découvrir que, pour avoir laissé complaisamment, ou à tout le moins passivement, se dérouler l'enchaînement des événements, l'avenir dont nous pouvions rêver est déjà enfui et celui dont nous ne voulions pas déjà là. Il nous faut l'oser, car si demeure encore un espoir, c'est dans cette mémoire du temps que nous le trouverons, même s'il est à craindre que le prix de l'espérance que puisse un jour renaître notre civilisation ne soit déjà plus dans nos moyens, à supposer que de plus les peuples concernés aient encore le désir de l'acquitter, préférant la soumission au nom d'un pacifisme geôlier au combat pour la liberté et des sacrifices qu'il impose. Il nous faut l'oser, enfin, ne serait-ce que pour refuser le silence, se taire n'ayant de sens et de valeur que si d'abord on a parlé.

Devant les leçons de l'Histoire il est inutile de fuir. Bien sûr cette Histoire pouvons-nous l'ignorer, n'y voir que parchemins jaunis écrits hier par d'inutiles témoins et adressés par delà les siècles à de tout aussi inutiles passéistes nostalgiques, ou même, lorsque ce qu'elle nous lègue ne nous satisfait pas, oser la réécrire, ou, pour employer la sémantique des révisionnistes médiatiquement fréquentables, la déconstruire. Mais tout cela est illusion : la nature humaine n'ayant au cours du temps jamais changé, le futur ne peut qu'être un perpétuel retour du passé, et l'Histoire de ce fait éternellement actuelle.

Car l'Histoire, avant d'être mémoire et livres du passé, s'écrit toujours au présent, avec la plume trempée dans la sueur, le sang et les larmes de ceux qui la font, que ceux-là soient en ce monde nobles ou plébéiens, illustres généraux ou anonymes fantassins, bâtisseurs de cathédrales et de temples de gloire ou destructeurs de murs de la honte, avant que d'être écrite par l'encre de ceux qui témoignent. Elle ne s'écrit jamais avec ceux qui, devant les cruciaux événements se déroulant à leur porte, préfèrent détourner le regard ou garder le silence, comme s'il suffisait de fermer les yeux sur la mort qui vient pour demeurer en vie, comme s'il suffisait de ne pas choisir de camp pour ne pas finir dans celui des vaincus. Que donc nos âmes nostalgiques se nourrissent sans compter de l'écho des voix des Sages du passé, de la grandeur des Chevaleries et du fracas des armes qu'exige la liberté, de poésies courtoises et de cris de ralliement, de l'émotion ressentie dans une nef de cathédrale ou devant une pyramide millénaire. Mais si, après avoir vibré à l'évocation d'épopées et de légendes d'autres temps et même d'autres lieux, perdus dans la contemplation de civilisations aujourd'hui disparues, nous ne levons les yeux des ouvrages-mémoire pour oser affronter la disparition de notre propre civilisation, l'intérêt que nous pourrions porter au passé ne serait alors qu'un refuge abritant notre déni, implicite aveu par une telle attitude d'avoir déjà choisi le camp des vaincus. Personnellement, bien qu'admirant ce que furent de telles civilisations, il m'indiffère assez que Sumer ou l'Égypte ancienne ne soient plus que ruines et vestiges. Il ne m'indiffère pas que s'efface la mienne. En toute chose Chronos est le maître nous dictant les urgences : le temps d'écrire sur les civilisations disparues n'est plus, il nous reste à peine le temps d'écrire sur la nôtre, avant que d'autres ne le fassent, comme le fait tout vainqueur à l'égard du vaincu dans une langue à ce dernier bien souvent étrangère.

 

Passé entre les mains de ceux que nous nommions encore instituteurs, qui donc instituaient avant que la sémantique idéologique ne les rebaptisât professeurs des écoles et qui par conséquent, depuis, professent ; instruit dans des écoles où, bien que républicaines, nous apprenions que notre Histoire connut de grands rois, où, bien que publiques, l'approche de Noël n'interdisait pas que fût évoquée la naissance du Christ ; ayant grandi à une époque qui n'empêchait nullement qu'ici où là puissent apparaître quelques crèches en dehors des lieux de culte sans que personne ne s'en offusquât, enfant d'une génération qui connut de sombres heures et paya le tribut que l'on sait afin que la France ne devienne province nationale-socialiste et recouvre frontières et liberté, je ne fus en rien préparé, par ce parcours à l'époque ordinaire dans une société où le mot autorité avait encore un sens, à l'idée que puisse, en quelques décennies, mourir mon pays. Et préparé, je ne le suis toujours pas.

N'allons pas croire que les années ci-dessus évoquées furent dépourvues de problèmes et d'injustices, mais au moins y avait-il un État et des institutions à l’œuvre, incarnés par des hommes politiques, que nous ne commettrons pas l'erreur de penser en tous points irréprochables, mais aimant leur pays, osant, pour ceux qui l'étaient, se dire catholiques et entrer, devant les caméras, dans une église, ayant une autre dimension, une autre vision géopolitique, une autre connaissance historique et culturelle, que le personnel actuel dont la plus grande qualité est semble-t-il la fierté d'être lamentable et dont il y a soixante ans seulement le plus grand des destins eût été de remplir les poubelles de l'Histoire, qui seront aussi de ce fait le destin des peuples ne voulant renoncer à les suivre, ce qui ne sera finalement que justice : le suffrage universel nous assure en effet que la trahison et la médiocrité des gouvernants ne saurait perdurer sans la lâcheté et la faiblesse des peuples. Mais qui hier entendit les voix de de Gaulle, de Malraux, de Couve de Murville, de Genevoix, de Mauriac, qui hier vit une télévision naissante amener au salon Homère, Balzac, Hugo, Dumas, Eschyle, et même les Évangiles, n'a nul besoin de mes propos pour prendre la mesure de la dégringolade, de la déchéance, de la déliquescence.

Que non seulement la France mais avec elle une grande part de l'Occident nourrissent quelque inquiétude à la perspective d'ajouter sous peu une ligne à la liste des civilisations disparues et de voir leurs territoires soumis à d'autres mœurs et leurs peuples courbés sous le joug de la charia ou de la technologie transhumaniste est une angoisse fondée. Mais nous n'éviterons rien d'un futur plus assuré et plus proche que nous pourrions le croire en cultivant avec une constance d'âne un déni qui confine au suicide, ou, tout déni rejeté et les yeux dessillés, en rejetant sur l'autre les malheurs dont nous sommes seuls responsables, alors qu'à l'homme lucide doit s'imposer cette évidence : notre civilisation ne recule pas parce que l'islamisation et le transhumanisme avancent, ce sont ces derniers qui avancent parce que notre civilisation recule.

Ceux qui voudraient accuser le Croissant ou la biotechnologie de tous les maux se trompent : le problème majeur n'est pas ce qu'est l'Islam, auquel nous ne saurions reprocher de vouloir demeurer fidèle à lui-même, ne voyant pour ma part rien de choquant à ce que l'Islam veuille islamiser ; le problème majeur n'est pas ce qu'est la Science, à laquelle nous ne saurions reprocher de vouloir demeurer fidèle à elle-même, soit se consacrer à d'incessantes recherches qu'elle ne peut interrompre puisque là se situe sa raison d'être ; le problème majeur n'est même pas ce qu'est le monde des affaires, auquel nous ne saurions davantage reprocher de toujours chercher à prospérer, quitte pour cela à investir sans état d'âme dans les nouveaux créneaux de la biotechnologie, puisque telle est sa nature.

Le problème majeur est ce que nous ne sommes plus, pour avoir renoncé à tout ce que nous étions, en deux mots : une Civilisation Chrétienne. C'est parce que méthodiquement, voire même en s'en faisant fierté brandie comme un étendard dans nos livres d'Histoire, fut mené un combat contre notre propre religion fondatrice, nous désarmant ainsi nous-mêmes de notre Verticalité structurante par ce reniement de notre Transcendance, combat constituant donc purement et simplement un suicide civilisationnel, que nous déroulâmes le tapis rouge et le déroulons encore à ceux qui ne peuvent prospérer que par notre disparition.

Car l'islamisme progresse par la négation de toute Transcendance autre que la sienne ; le transhumanisme et son tentacule sociétal le wokisme progressent par la négation de toute Transcendance.

Nous avons par conséquent grand ouvert les portes au premier comme au second, en ayant depuis quelques siècles activement souhaité ou passivement accepté que fût méthodiquement extirpée de notre société, de nos mœurs, de notre morale, de nos existences, notre propre Transcendance fondatrice. Nous avons brisé l'Axe de notre civilisation, dont seul le maintien eût pu lui éviter l'imminent effacement.

Nous n'avons donc aucun droit à pleurer de voir d'autres venir cultiver les champs que nous avons abandonnés. L'Islam en voyant en nous des infidèles parce que nous n'épousons pas sa foi n'a par ce jugement pourtant peu nuancé qu'une vision parcellaire de notre condition, et finalement bien en dessous de la vérité, car infidèles, nous le sommes, d'abord à nous-mêmes, à tous ceux qui élevèrent par la patience et dans la douleur les murs porteurs de notre civilisation millénaire et qui la firent rayonner, à tous ceux dont le sang abreuva les sillons des défaites et des victoires afin qu'elle ne cessât point d'exister, à tout ce que nous avons abandonné et que nous aurions dû défendre et protéger, et donc finalement infidèles à nos descendants auxquels nous ne léguerons que les décombres de ce qui fut le sanctuaire dont nous avions hérité.

 

 

Politiquement incorrect et religieusement hétérodoxe.

 

Le lecteur aura compris à la lecture de ce qui précède que l'analyse menée dans ce livre amena l'auteur à être convaincu que, quoique l'on fasse désormais, la France est morte. À peine y verra-t-on poindre une pâle lueur d'espoir, concession faite à la possibilité d'un diagnostic erroné ou de conclusions hâtives.

La rédaction d'un tel livre, qui oblige en particulier à se tourner vers le passé afin de comprendre comment il put advenir qu'une des plus grandes civilisations que la Terre ait portée, tant par son rayonnement que par sa longévité, puisse aujourd'hui se retrouver en soins palliatifs dans un EHPAD pour nations, ne peut être menée à bien qu'en pratiquant davantage la langue d'acier que la langue de bois. La situation actuelle de la France, mais aussi de toute une partie de l'Occident, ne peut en effet procéder que de causes qui L'y ont conduite, et il nous faudra donc oser en faire l'inventaire, non pas pour ouvrir un inutile procès car ce qui fut ne peut être modifié, mais pour prendre conscience, si l'on veut croire que demeure encore un espoir, que la survie éventuelle de notre civilisation ne peut aller de pair avec le soutien à ce et à ceux qui en sapèrent et en sapent toujours les fondations. Lorsque l'on veut lucidement comprendre et exposer ces causes, poser les mots justes sur les choix qui furent et sont faits aux plans politique et religieux, collectif et individuel, et qui firent que nous en arrivâmes là où nous sommes, l'écriture oblige nécessairement, lorsqu'il faut bien que soit nommé un chat un chat, à quitter la route socialement confortable du politiquement correct et du religieusement orthodoxe. Ceci est d'autant plus inévitable pour ne pas dire qu'il s'agit d'une exigence formelle que ce qui aujourd'hui est politiquement correct consiste à vouloir détruire tout ce que nous défendrons ici.

Nul doute par conséquent que de nombreux passages iront ici ou là à l'encontre de convictions bien ancrées chez certains lecteurs, ce dont par avance l'auteur ne s'excuse pas, refusant ainsi de sacrifier à la pleurniche ambiante qui voudrait imposer des excuses aussitôt que blessée telle ou telle sensibilité. Je n'écris ni pour plaire ni pour vendre, considérant par ailleurs que les cris de vierge effarouchée à la moindre contrariété et les excuses qui les suivent dans une tentative de recoudre l'hymen ne sont, pour les premiers, que des appels à la censure réduits à jouer de l'émotion faute de pouvoir contre-argumenter, pour les secondes que l'acceptation implicite de toutes les futures autocensures.

 

 

Le triomphe de l'inculture.

 

Aussi me suis-je efforcé tout au long de ce livre, et plus particulièrement dans les passages le plus susceptibles de se heurter à la bienséance intellectuelle, d'argumenter autant que faire se pouvait, afin bien évidemment de soutenir ma position, mais aussi afin d'offrir à d'éventuels contradicteurs la possibilité de présenter leur contre-arguments au travers de joutes verbales respectueuses. À dessein également trouvera-t-on en fin d'ouvrage une bibliographie suffisamment large pour que chacun puisse lui-même aller se désaltérer aux sources, et vérifier par lui-même les faits auxquels il est fait référence, qu'ils soient historiques, scientifiques, ou autres.

Cette bibliographie n'est pas exhaustive, mais bien des ouvrages cités possédant eux-mêmes leurs propres et parfois abondantes références bibliographiques, il sera ainsi toujours possible au lecteur de démultiplier ses lectures. Initialement, je pensais, pour chaque fait ou élément cité, mettre en note la référence utilisée, mais l'idée fut finalement abandonnée, cet ouvrage n'ayant pas pour souci de mâcher le travail aux flemmards de l'esprit. Qui plus est, l'absence de notes additives ne pourra que faciliter la lecture linéaire du livre.

Je suis malheureusement bien conscient que l'inculture est un fléau de plus en plus répandu, et qu'ouvrir un livre pour la combattre constitue pour l'individu un effort de plus en plus insurmontable, et on ne peut qu'être affligé de l'expansion de l'ignorance alors même que l'accès à la connaissance ne fut jamais aussi rapide et facile, tant par les médiathèques présentes dans chaque commune que par l'abondance des ressources en ligne, comme celles que la Bibliothèque Nationale de France offre à chacun au travers de son site Gallica.

L'ignorance n'est en soi nullement répréhensible : tous sommes ignorants dans la plupart des domaines, les connaissances accumulées et de plus en plus pointues interdisant que nous les acquerrions, quand bien même vivrions-nous cent siècles. Ce que nous pouvons savoir individuellement n'est donc qu'une partie infime de ce que l'humanité a exploré, compris, et empilé au cours du temps.

Mais cette ignorance devient coupable lorsqu'elle prétend néanmoins s'exprimer sur un sujet sur lequel jamais une ligne ne fût lue, devenant dès lors prétention gratuite nécessairement doublée de ridicule, obligeant bien souvent celui qui se voudrait contradicteur sans rien posséder sur quoi s'appuyer à prononcer de lapidaires « c'est faux » ou autres « ce n'est pas prouvé », formules magiques qui ont semble-t-il la vertu de faire disparaître les faits qui dérangent en évitant la peine à ces escamoteurs d'avoir à se consacrer à un minimum de recherches. Et c'est forcément parmi ceux-là, ne pouvant finalement contre-argumenter puisque la connaissance des faits est l'indispensable préliminaire à l'analyse, que se recruteront ceux qui n'auront d'autres armes dans une joute verbale que, au mieux, le déni ou le mépris, au pire, l'insulte ou la censure.

Cette paresse intellectuelle, d'autant plus aisément compréhensible qu'à des degrés divers nous la partageons tous, résulte essentiellement du fait que, dans bien des domaines, les connaissances acquises par l'individu se résument souvent à ce qu'il apprit sur les bancs de l'école. Cette dernière est en effet pour chacun un passage obligé où, pour une ou deux matières qui passionnent, huit ou neuf autres sont subies sans enthousiasme ou avec l'intérêt minimal requis pour que le passage dans la classe supérieure ne soit pas compromis, de sorte qu'est accueilli comme jour de la libération celui où plus rien désormais ne contraindra à poursuivre l'étude des huit ou neuf disciplines en question. Nous avons tous connu et apprécié une certaine légèreté retrouvée par cet abandon de ce que nous considérions comme des boulets aux pieds. À cela nous faut-il ajouter, corollaire de ce qui précède, que, l'école étant quittée, s'achève avec le dernier jour de classe l'acquisition de connaissances reçues dans un cadre obligatoire et collectif, hormis les formations professionnelles qui seront limitées au strict nécessaire réclamé par l'activité concernée, impliquant par conséquent que désormais toute nouvelle acquisition ne pourra résulter que d'une démarche volontaire et individuelle, ce qui exigera dès lors un effort qui revêt toujours un côté pénible que seuls le désir et la motivation peuvent atténuer voire même réussir à faire disparaître. Le temps de la scolarité, la connaissance vient à nous, après quoi il nous faut aller à elle.

De cela découle inéluctablement que, dans bien des domaines, si nos connaissances se limitent à celles qui nous furent transmises par l'Éducation nationale du temps de notre jeunesse, celles-ci seront d'autant plus obsolètes que notre âge nous éloignera du jour de la sortie des classes, car ce que nous avons pu apprendre il y a ne serait-ce que vingt ans, particulièrement en Science, est en effet aujourd'hui dépassé. En quelque sorte, si, ayant quitté l'école, nous nous limitons ensuite à ce que nous y apprîmes, nous fîmes ce jour-là un arrêt sur image dans un film qui n'en n'a pas moins depuis continué à dérouler sa pellicule sans que nous nous y intéressions.

 

L'Histoire n'échappe pas à la règle, pour d'identiques raisons d'une part, mais aussi pour une raison qui lui est particulière d'autre part.

Identiques raisons, car en ce domaine aussi et particulièrement depuis les deux ou trois dernières décennies, les axes de recherche, les méthodes suivies, les outils utilisés, le recours aux investigations scientifiques, la multiplicité des approches, l'archéologie préventive, les recoupements interdisciplinaires, etc., ont contribué à donner un coup de vieux aux livres d'Histoire de notre enfance, obligeant bien souvent à reconsidérer des scenarii pourtant jusque-là officiellement consignés dans les manuels et doctement assénés du haut des chaires universitaires.

Raison particulière, car il faut ici garder à l'esprit cet axiome que tous nous connaissons mais qu'il conviendrait de ne pas oublier à l'instant de le mettre en pratique : l'Histoire est écrite par les vainqueurs. Celle qui est enseignée est donc toujours au service d'un dessein politique ou d'une idéologie, et ce à toutes les époques et sous toutes les latitudes : dès qu'émergèrent les premières civilisations, celles-ci s'évertuèrent à faire étiqueter barbares, force sombres descriptions à l'appui, tout ce qui n'était pas elles, jusqu'à ce que l'on s'aperçoive que les barbares en question étaient au moins aussi sophistiqués que ceux qui les voulaient arriérés.

Ainsi « La guerre des Gaules » fut-elle écrite par Jules César, qui ne laissa pas l'opportunité à Vercingétorix de nous laisser sa version des faits.

Ainsi encore les premiers biographes Carolingiens nous dessinèrent des Mérovingiens un portrait peu flatteur de personnages brutaux et incultes finissant lamentablement en « rois fainéants », formule que l'on doit à Éginhard, biographe de Charlemagne, car il fallait que la dynastie carolingienne justifiât son coup d'État, jusqu'à ce que l'on découvre que les rois Mérovingiens étaient tout sauf incultes, que les échanges culturels existaient avec Rome, et que jamais il n'y eut de « rois fainéants », la réalité étant que les maîtres du palais qui allaient procéder au changement de dynastie s'attribuèrent de plus en plus de pouvoirs au détriment des rois en place, ces derniers étant ainsi progressivement écartés de l'exercice du pouvoir : cet éloignement est donc la conséquence du changement de dynastie, et non sa cause.

Ainsi toujours c'est à la Renaissance que le Moyen Âge doit d’avoir été ainsi nommé, car les élites de cette époque, aux yeux desquelles le summum de la pensée, de la culture, de l'architecture, des arts, s'incarnait dans l'Antiquité, s'évertuèrent à faire renaître ce qu'elles estimaient être un apogée intellectuel, de sorte qu'elles s'efforcèrent, pour bien insister sur ce retour à la lumière suggéré par le nom qu'elles attribuèrent elles-mêmes à leur époque (fait exceptionnel qui en dit long sur la haute opinion que ces élites avaient d'elles-mêmes, car les époques sont toujours désignées après coup), de décrire sous les aspects les plus sombres toute la période qui s'étendit de l'Antiquité à la Renaissance, allant même jusqu'à qualifier de gothique, par référence aux « barbares », l'art qui conserva depuis cette épithète. Ainsi l'appellation Moyen Âge doit-elle être regardée comme initialement péjorative, désignant aux yeux de ceux qui le baptisèrent ainsi un âge intermédiaire de ténèbres et d'obscurantisme, en quelque sorte une parenthèse entre deux périodes lumineuses.

Gardons aussi à l'esprit que pendant longtemps, écrire l'Histoire fut affaire d'élites lettrées, le commun des mortels n'ayant accès ni à l'écriture ni à la lecture. Qu'un monarque ait ainsi favorisé ces élites, et les descriptions qu'elles nous en laisseront seront flatteuses, quand bien même eût-il été odieux avec son peuple, qu'il ait à l'inverse représenté une menace pour leurs carrières et leurs prétentions, et elles nous en noirciront le portrait, quand bien même eût-il été aimé de son peuple. L'Histoire est écrite par les vainqueurs, et les vainqueurs aisés.

Nous pourrions à l'infini allonger la liste de tels exemples, d'autant plus que de telles historiographies se rendant plus belles qu'elles ne le furent en discréditant celles qui les précédèrent pour augmenter l'effet de contraste ne sont nullement une exclusivité de l'Histoire de France et constituent la règle sous toutes les époques et latitudes, mais ceux que nous avons évoqués doivent suffire à nous faire prendre conscience que l'Histoire que l'on enseigne sur les bancs de nos écoles françaises et contemporaines ne saurait échapper à la règle.

Nous devons bien avoir à l'esprit que Jules Ferry n'a pas rendu l'école obligatoire pour les enfants de six à treize ans : il a rendu l'école laïque obligatoire, les maîtres d'école n'étant recrutés que certitude acquise de leur profond républicanisme, la mission de ceux que Péguy nommera les hussards noirs de la République étant explicitement définie : en cette période où le retour de la Monarchie était loin d'être exclu, former dans des écoles républicaines des petits républicains recevant un enseignement républicain transmis par des enseignants républicains. «  Le but de l'école laïque, ce n'est pas d'apprendre à lire, à écrire et à compter, c'est de faire des libres-penseurs. L’école laïque n’aura porté ses fruits que si l’enfant est débarrassé du dogme, s’il a renié la foi de ses pères, s’il a renoncé à la foi catholique », dira en 1896 l'inspecteur d'académie Duquaire-Grobel.

Penser par conséquent que l'Histoire qui nous fut enseignée est objective et que notre époque ferait exception dans la manipulation des esprits est au mieux naïveté ou paresse intellectuelle n'ayant pas envie de se poser de questions si l'on est du côté des manipulés, au pire adhésion volontaire aux mensonges de l'Histoire si l'on est du côté des manipulateurs d'opinion. Se contenter de ce que nous apprîmes entre les murs de l'Éducation nationale est donc accepter d'être mouton bêlant, qui ne se déguisera en loup, histoire de s'auto-illusionner car bien évidemment personne ne veut être mouton, que le temps d'aller hurler de temps en temps avec la meute lorsque cela permettra de bénéficier de la reconnaissance sociale.

Aussi ne faut-il pas s'étonner, devant le faible nombre de personnes à même de prendre leurs distances avec ce qui leur fut inculqué, à même de se replonger volontairement et assidûment dans l'étude de l'Histoire de leur propre pays, que les clichés aient la vie dure, transmis par des perroquets qui bien qu'incultes ou à tout le moins déculturés, se feront fort de continuer à asséner comme une vérité indépassable les mantras appris sur les bancs de la Rééducation Nationale. Et ainsi, treize siècles après Éginhard, et malgré toutes les ressources nouvelles, les rois mérovingiens sont-ils toujours des rois fainéants. On peut aussi penser que les fainéants sont désormais, davantage que chez les rois qui jamais ne furent incultes, plutôt chez les sujets, nous ne dirons pas de Sa Majesté, les temps actuels poussant plutôt au néologisme Sa Minesté.

 

L'absence de références historiques et culturelles, et son corollaire l'incapacité à élaborer sur de telles bases une pensée construite, sont les signes d'un retour à l'analphabétisme.

On me rétorquera qu'une société dans laquelle chacun désormais sait lire et écrire et peut aisément accéder à des médiathèques municipales ou en ligne a définitivement vaincu l'analphabétisme. Est-ce bien certain ? Sur le chemin de la culture est-on rendu plus loin que l'analphabète si, sachant lire, nous ne lisons pas, hormis les factures et le programme télé, et si, sachant écrire nous n'écrivons pas, hormis des sms et des tweets rédigés en langage phonétique ?

 

Tant que nous ne nous posons pas de questions sur ce que nous reçûmes par l'éducation et l'enseignement, ce que nous croyons être une pensée individuelle n'est donc qu'une pensée collective, celle dont on ne saurait par conséquent sortir spontanément et sans effort, d'autant plus que l'adhésion à cette pensée collective nous garantit la reconnaissance sociale, qui n'est que l'aspect insidieux d'un totalitarisme présentable.

 

 

Architecture de l'ouvrage.

 

Cet ouvrage se veut donc, en trois Livres, réponse à l'invitation de Saint Augustin au voyage dans le temps :

Le Livre Premier, « Fondations », nous emmènera dans un lointain passé, celui qui vit naître chez l'Homme les premières interrogations face à la mort, et donc avec elles les germes du Sacré et de toutes les religions à venir, alors qu'il était encore chasseur-cueilleur nomade. Il en découlera que les hommes qui s'agrégeront au Néolithique le feront en portant déjà en eux leurs dieux et leurs croyances, autour desquels se construiront par conséquent les civilisations. Y sera donc défendue l'idée qu'il ne peut y avoir de civilisation qui n'ait pour Axe une Spiritualité autour de laquelle s'agenceront tous les domaines relevant de la Temporalité, avec tout ce qu'impose de contraintes la nécessité de vivre de plus en plus nombreux au sein de la Cité des hommes.

Le Livre Deuxième, « Construction », nous replongera aux sources de notre civilisation d'Occident, des origines par conséquent du Christianisme à l'émergence du courant chrétien autour duquel elle s'organisera, à savoir le Catholicisme, la Temporalité en étant assumée par la Royauté. Ce Livre Deuxième est donc la prolongation du Livre Premier dont il reprend les principes, mais envisagés uniquement sous l'angle de notre civilisation.

Le Livre Troisième, « Destruction », se penchera sur les causes multiples qui ont, par leurs effets cumulés, sonné le glas de la civilisation chrétienne d'Occident. Sonné le glas, car il ne semble pas réaliste, et ce sera également là un thème majeur de ce Livre Troisième, d'espérer qu'un seul des futurs possibles soit pour notre civilisation synonyme d'avenir, à supposer par ailleurs que les français eux-mêmes souhaitassent ardemment que leur pays ne soit pas effacé des livres d'Histoire, et même, au train soutenu où vont les choses, des livres de Géographie.

 

Dans un esprit de cohérence, chacun de ces Livres est divisé en deux parties analogues, la première abordant le sujet davantage sous l'angle de la Spiritualité, la seconde plutôt sous l'angle de la Temporalité, soit :

 

Livre Premier

Première Partie : « De la Cité des Dieux... »

Seconde Partie : « ...À la Cité des Hommes ».

 

Livre Deuxième

Première Partie : « Le Catholicisme, colonne spirituelle de notre civilisation. »

Seconde Partie : « La Royauté, colonne temporelle de notre civilisation. »

 

Livre Troisième

Première Partie : « L'effondrement de la colonne spirituelle. »

Seconde Partie : « L'effondrement de la colonne temporelle. »

 

Précisons que si, bien évidemment, les expressions « Cité des dieux » et « Cité des hommes » se réfèrent à l’évêque d’Hippone, elles ne sont pas dans cet ouvrage utilisées dans le sens qu’il leur donna.

Sans doute, par moments, le lecteur se demandera-t-il où je veux en venir. S'il est suffisamment patient ― et tolérant...― pour aller au bout de la lecture, il se rendra compte alors qu'il n'y a pas de détours inutiles, et que chacun des sujets abordés trouvera sa place le moment venu, tel un élément préalablement placé par la nécessité de la démonstration.

 

 

Un ouvrage inutile ?

 

Certains parmi vous s'interrogeront peut-être, à la lecture du pessimisme aisément décelable dans cette introduction, sur l'utilité que peut avoir à mes yeux le fait d'écrire sur ce sujet si je considère que d'ores et déjà la France est morte.

Tout d'abord, je peux me tromper, et la France n'est-elle peut-être simplement que mourante et encore sauvable.

Aussi, dans cette seconde éventualité, la réponse à ces interrogations, qui furent aussi les miennes, sera donnée par ce conte très court :

« Dans une forêt en feu, tous les animaux allèrent chercher refuge près des étangs et de la rivière qui la traversait. Là, regroupés autour de leur terreur commune, ils virent un geai prendre un peu d'eau dans son bec pour aller faire tomber sur les flammes les quelques gouttes prélevées, multipliant sans cesse les allers-retours d'une lutte désespérée. Les autres animaux, le prenant pour un fou sans doute, lui dirent alors : « Mais ce que tu fais ne sert à rien ! ».

« Je sais, répondit le geai, mais j'aurais fait ma part.» »

 

Faut-il, devant le spectacle d'une France livrée aux félons depuis plus de cinq décennies, demeurer silencieux en attendant que le couvercle du cercueil soit rabattu ?

L'âge pour moi n'est certes plus à d'autre combat que celui que peut mener la plume, mais ce même âge par le temps écoulé m'ayant accordé d'avoir enfin unifié en une vision cohérente pensées spirituelles, philosophiques, politiques, sociales et sociétales, j'ose espérer que livrer en ces pages le bilan de mes réflexions sera de quelque utilité à de plus jeunes que moi, leur faisant gagner un temps précieux dans un monde qu'autorité et repères semblent avoir déserté.

 

 

Terminons cette introduction par deux points de pure forme littéraire :

 

Il ne sera pas rare dans ce livre que la première lettre de noms communs soit une majuscule. Par cet emploi est ainsi signifié que le mot doit être entendu dans un sens plus élevé que dans son acception ordinaire, l'écriture ne faisant là que renouer avec l'étymologie, la majuscule étant réservée à ce qui est majeur, la minuscule à ce qui est mineur.

 

Le lecteur ne manquera pas non plus de noter, si ce n'est déjà fait, que le subjonctif, sous ses différentes formes, se trouve dans mes écrits réhabilité. Qu'il veuille bien y voir, en-dehors de l'évident plaisir que prend l'auteur à l'utiliser, la réponse de ce dernier à ce virus linguistique létal que constitue l'écriture inclusive, dont l'acceptation équivaudrait à admettre que désormais les règles déterminant l'usage de notre belle langue puissent être édictées par une idéologie que la courtoisie m'empêche ici de qualifier et non plus par nos Académies.

En ce qui me concerne, je préfère l'imparfait du subjonctif au présent du subversif.

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